jeudi 7 mai 2015

"Et Nietzsche a pleuré" de Irvin YALOM (Ed.:Le livre de poche, n°31760)


Je l'ai vu en librairie. La couverture, un peu décalée, et le titre ne passent pas inaperçus pour le lecteur qui, le regard flottant, déambule entre les rayonnages en espérant se laisser "saisir". Pourquoi ne l'ai-je pas acheter? Pourquoi avoir quitté la librairie sans lui? Mon inconscient pourrait y répondre, sans doute. Moi pas. Toujours est-il que quelques jours plus tard, ce livre se trouve dans une pile qu'on me conseille de lire.
Je prends. J'ouvre. Je suis saisi! Tout de suite, attiré, convaincu par ce petit docteur Breuer (plus que par la belle et grande Lou Salomé). D'abord, il pratique à Vienne, fin du 19e siècle. La description de ce monde me paraît fascinante. Les hauts de forme et capuches vestimentaires, la calèche-taxi qui sert de bureau et la description de quelques remèdes d'alors ont des relents de naphtaline et me font rentrer dans un monde quelque peu vieillot alors que, en même temps, je pressens de suite que ce Breuer va être un novateur, un ouvreur de voies, un chercheur qui trouve, un praticien qui veut rencontrer l'humain en souffrance et l'aider avant de vouloir étaler sa rhétorique et sa sciences de guérisseur..
J'ai un rapport très particulier avec les gens de la Faculté. Expériences faites de la suffisance et des certitudes destructrices de certains d'entre eux, alors que, par ailleurs, il m'a aussi été donné de croiser lors de mes immersions hospitalières des pontes médecins, monuments d'humilité, de ténacité, de jusqu'au boutisme dans l'écoute et la recherche des causes profondes du mal à soigner. Alors, d'entrée de jeu, j'aime ce livre où s'installe, peu courante à l'époque, la conviction de Breur que la parole peut guérir.
Irvin YALOM, dans son roman, anime la rencontre fictive de ce Dr Breuer et de Nietzsche qui ne se sont pourtant jamais rencontrés ... mais qui, contemporrains, auraient pu! YALOM maîtrise cet art de dire l'Histoire par un roman où rien ne doit être tout à fait juste sans pour autant que le fond n'en devienne faux.
Le premier, Breuer devine qu'il est possible de soigner par la parole, longuement écoutée, échangée, respectée, crue et délivrée. Le deuxième, Nietzsche, on le sait, philosophe beaucoup sur le rôle prépondérant que l'inconscient joue dans nos vies. Quand au troisième, Freud qui suit, dans le récit, son mentor Breuer sur les premiers sentiers de cette médecine psychique, il développera et reprendra à son compte (d'une manière personnelle un peu exagérée) tous ces liens que tissent nos inconscients et qui sont sources de névroses et de refoulements que la médecine psychanalytique se devra de démêler. Nous voilà donc plonger dans la médecine des âmes, dans la médecine psychique... Mais sans panique, sans crainte de décrocher et de se sentir encore plus nul.
Non, "Et Nietzsche a pleuré" est un livre tendre, chargé d'humour et de pensées de vies qui interpellent et ouvrent des possibles ... mêmes s'ils ne sont pas toujours aisés à choisir. Le livre est un roman qui pousse à vivre debout, à se sentir humble devant la complexité des relations que nous avons avec les autres et, plus encore, la complexité qui préside aux relations que nous tentons de tenir avec nous-mêmes. Mais ces tensions ne sont jamais déguisées par le charabia méprisant qui ne permet qu'au maître de comprendre et qui plonge l'intéressé dans une ignorance peu féconde d'à venir.. Ici, YALOM nous prend par la main et ne nous emmène au jardin secret de nos pensées pour que nous puissions nous y balader sans craindre de s'y perdre. Pas question de nous y enfoncer et apprendre à ne plus s'aimer.

"Et Nietzsche a pleuré", un récit frais qui lève un voile sur les tréfonds de tout un chacun, avec bonheur, pudeur et humour. Un récit qui élève l'homme à sa dignité d'être complexe, riche et capable de devenir maître de son destin. Un livre qu'il est bon de lire! Merci à celle qui me l'a prêté!

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