La chevauchée tragique de la Mort qui pousse à vivre.
La Mort qui s’approche, s’accroche, fait peur, étouffe, éloigne, rapproche.
La Mort qui force Charlotte Salomon, juive allemande, à devenir sa vie, toute sa vie !
Charlotte n’a que 26 ans.
Elle est triste, artiste peintre, peu sûre d’elle-même, en recherche d’amour fondateur.
Elle parcourt une vie qui n’en est pas, qui n’est que survie.
Et qui va vers sa fin. Charlotte est en fuite, déracinée, seule, enceinte, gazée.
Mais elle est. Elle est là, sous la douche, enfermée par l’inhumain, au centre d’elle-même.
Elle a tout donné, tout écrit, tout transmis dans son œuvre.
Elle l’a confiée à son médecin. Il doit garder, protéger, transmettre son travail.
Elle sait, sent, réalise qu’elle va mourir.
Mais n’est-elle pas déjà morte si souvent ?
Tuée par les mensonges familiaux, par les silences qui n’en disent pas assez ou trop.
Tuée par les cris, les colères, les reproches qu’on lui jette à la figure.
Elle les comprend peu ou ne sait qu’en faire.
Tuée par l’ombre qu’elle doit devenir, par la négation d’un quelconque potentiel juif, par l’exil culturel forcé qui en découle.
Tuée par cet amour enfin trouvé qu’elle doit quitter pour le sauver. Espérer le sauver.
Tuée par la barbarie nazie, par le dérèglement d’un monde qui ne sait plus tourner.
Un monde qui n’arrive plus à se retourner, se recentrer sur l’humain qui pourtant en est la richesse première.
La Mort a-t-elle, une fois de plus gagné ?
Charlotte Salomon est là, dans ses toiles, ses écrits. C’est toute sa vie !
Et s’il y a vie… peut-on se risquer à dire que la Mort a perdu ?
On peut préjuger, chez l’auteur, une volonté, avant tout, d’écrire un « Prix littéraire », d’y inclure suffisamment de références culturelles et de se doter d’un style « hors du lot» pour recueillir des lauriers convoités… et assurer les ventes. On peut, doit-on ? A chacun de se faire sa propre opinion.
Il reste qu’on peut être surpris par l’écriture de FOEDNKINOS. On peut la trouver minimaliste ou la magnifier pour son sens de la concision. La disqualifier en tant qu’écriture romanesque, littéraire ou l’admettre comme l’expression d’un récit qui coupe le souffle, un récit qui, par pudeur, se garde de tenter de resituer ce qui se passe dans un ensemble qui, comme par enchantement, pourrait tout expliquer. Mais FOENKINOS n’explique pas la barbarie, Il ne disserte pas sur la souffrance. Il l’évoque, sensibilise le lecteur à cette succession de situations tragiques vécues par Charlotte.
On peut aussi, simplement, se laisser prendre par ce style assez proche des conteurs qui transmettent oralement l’Histoire à ne pas oublier. L’Histoire qui transpire dans les petites histoires qui font, et le plus souvent, défont la vie. Pourquoi une telle morbidité s’enracine-t-elle dans le cœur de certains au point de les pousser à se tuer ? Comment ceux qui les entourent peuvent-ils continuer à vivre avec cela ? Pourquoi certains racismes développent-ils cette puissance qui désigne, étiquette, liste, écarte, brime, pille et tue ?
La mort est au centre de ce récit. La quête de la vie, de la survie aussi ! Des questions fondamentales que le récit permet d’appréhender, sans donner de réponses, simplement permettre au lecteur de se dire qu’il serait grand temps de les construire.
« Charlotte », de David FOENKINOS, un livre que j’ai aimé, qui se lit facilement, qui peut nourrir la réflexion et que je recommande.