Bien belle découverte que ce « Meursault, contre-enquête » de
Kamel Daoud (Ed. Actes sud, 2014). À lire, sans retenue !
Kamel DAOUD,
journaliste algérien, s’adosse, sans s’opposer, à l’Étranger, ce monument de
littérature écrit en 1942 par Albert Camus. Auteur qu’il ne citera jamais mais
dont il soulignera la grande maîtrise de la langue et sa capacité à tout dire, tout
inventer en si peu de mots. DAOUD signe ici son premier roman. Et quel roman !
J’avais choisi de relire l’Étranger de Camus juste avant de
commencer ce « Meursault, contre-enquête ». Excellente idée tant le
parallélisme est saisissant, au sens propre du terme. Le lecteur est pris dans
la double mécanique d’écriture, celle de Camus, celle de DAOUD. Et ces
mécaniques sont profondément humaines,
pas nécessairement chaleureuses, il y a trop de détachement et d’indifférence
apparente chez l’un et trop d’attente et de colère chez l’autre pour pouvoir
parler de chaleur dans les relations … et puis, il y a eu meurtre, tout de même,
non ? Mais au fait, qui ou quoi a-t-on tué ?
Le personnage central de ce roman est Haroun, le frère de Moussa,
cet arabe tué par Meursault. Haroun qui n’a jamais pu être lui-même face au fantôme
de son mort de frère, de cette mère qui n’a plus qu’un fils, celui qui a été
tué, face à cette population qui ne peut accepter que Haroun ne participe pas
la guerre d’Indépendance et refuse l’Islam comme Meursault refusait la religion
catholique. Kamel DAOUD multiplie dans son roman les allusions au
récit de Camus, en symétrie, en faux-semblants, en contre-point, il distille
une histoire qui dépasse les personnages de Meursault, le français, ou de Moussa,
l’arabe. Par ce jeu d’adossement, il sublime la question de la croyance ou non,
du pouvoir que veulent jouer dans le monde les religieux de tous poils
(fussent-ils laïcs).
En donnant la parole à la partie adverse, DAOUD nous
entraîne bien au-delà d’une simple contre-enquête, il nous fait rentrer dans une
réflexion métaphorique sur l’Identité de
l’Homme, celle d’un peuple, celle d’une
religion qui veut tout régenter… L’Algérie, et derrière elle toutes les
colonies, que sont-elles devenues ?
Après la négation d’un peuple qui a duré des décennies, après son
soulèvement et son Indépendance gagnée au combat, que reste-t-il du Peuple et
surtout de l’Homme ?
Les personnages sont très sobrement mais justement chargés
de toute la difficulté existentielle chez qui veut être un homme capable de se
situer dans sa propre histoire. Que doit être un humain en ce monde ? Doit-il
refléter, s’adapter, se fondre dans le modèle dominant d’une Société ? D’une
religion ? Doit-il être celui que le regard des autres attend ?
Peut-il se permettre de penser par lui-même ? Son espace de liberté
doit-il lui être dicté par sa conscience ou par « les pensées uniques »
qui se succèdent dans le temps ou coexistent dans des civilisations
contemporaines ?
Où l’Homme peut-il se tenir debout ? Où peut-il exister
pour ce qu’il est et non par ce qu’on croit percevoir de lui ?
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